HISTORIEK  HISTORIQUE  HISTORIC

 

 

La drôle de guerre - the phoney war - 2 septembre 1939 - 10 mai 1940 (II)

 

La 18 juin également : coup de théâtre dans les sphères politiques belges ! A Bordeaux, dans un sordide local de la rue Blanc-Dutrouilh, le gouvernement belge décide que, par suite de la capitulation de la France, il n'est plus en mesure de poursuivre la lutte. Le gouvernement se déclare, du même coup ; prêt à démissionner, afin de faciliter les "négociations de paix" (sic) entre la Belgique et l'Allemagne...

Le dernier acte du gouvernement consiste à nommer le ministre des Colonies, De Vleeschauwer, "administrateur général" du Congo Belge. Il reçoit pleins pouvoirs pour protéger la souveraineté belge sur le Congo contre des "puissances étrangères" (en clair : contre une ingérence britannique ou américaine). Il est chargé de se rendre à Léopoldville, via les États-Unis (ou, au besoin, via Londres).

De Vleeschauwer met sa procuration en poche et part immédiatement.

Le gouvernement belge ne consentait donc à continuer la guerre qu'avec un seul allié, en l'occurrence la France. Il refuse de poursuivre la lutte aux côtés des Anglais. Attitude incompréhensible !

Le ministre Marcel-Henri Jaspar ne peut patienter davantage. Son épouse est juive et il sait ce qui les attend s'ils tombent aux mains des Allemands. Il obtient un visa britannique et le lendemain, 19 juin, il réussit à s'échapper du Verdon, vers l'Angleterre, à bord d'un navire britannique.

Le 18 juin 1940, Churchill tient, à la Chambre des Communes, un langage viril, capable de toucher et d'inspirer la nation : "La bataille de France est terminée - je prévois que la bataille d'Angleterre va commencer. Très vite, la pleine furie de l'ennemi va se tourner vers nous. Faisons donc notre devoir et conduisons-nous de telle sorte, que si le Commonwealth se perpétue mille ans de plus, les gens diront encore : c'était leur plus belle heure !"

Le 20 juin, de Bordeaux, le gouvernement Pétain envoie, à la rencontre des Allemands, quatre plénipotentiaires (sous la direction du général Huntzinger). Les négociations se déroulent dans le wagon historique de Rethondes. Le 22 juin les Français signent les conditions imposées par les Allemands. L'armistice prend cours le 25 juin à midi.

Le comte R. de Chambrun écrivit : "La surprise ne fut pas que la France eût perdu la guerre, mais bien : comment avait-on jamais pu espérer que la France gagnât cette guerre !"

Le général Weygand prédit que les Allemands vont "tordre le cou à l'Angleterre comme à un vulgaire poulet", ce qui inspira à Churchill la célèbre exclamation, dans son discours à la Chambre des Communes : "Quel poulet ... et quel cou !" - "Some chicken, some neck !"

Le 20 juin, lord Halifax fait savoir à l'ambassadeur Cartier de Marchienne que, si le gouvernement belge capitule à son tour, la Grande-Bretagne préservera le Congo Belge de toute ingérence allemande, au besoin par des opérations militaires. Le 22 juin, la B.S.A.C., Commission consultative belge de la Navigation, dirigée par le Cdt. Boël, est informée de ce que le Ministère de la Navigation (Ministry of Shipping), consent à louer les navires marchands belges, sur base de charte-partie à temps (time charter). Ceci à condition que tous les navires belges rallient, sans délai, un port du Royaume-Uni ou du Commonwealth. En outre, le Ministry of Shipping endosse tout risque de naufrage ou entraves dues à des faits de guerre.

Dans la soirée du 22 juin, un ordre censé émaner du gouvernement belge, est expédié par télégramme à tous les consulats et ambassades de Belgique : Tous les navires belges encore au large, doivent rallier, d'urgence, le port sous contrôle britannique le plus proche et y attendre les ordres.

Dès son arrivée à Londres, Jaspar se rend à l'ambassade de Belgique à Eaton Square. Dans ses mémoires, il évoque le comportement abrupt de l'ambassadeur Cartier de Marchienne. Celui-ci ne lui offrit pas une tasse de thé, pas même un verre d'eau et ne lui demanda même pas s'il disposait de moyens de subsistance. Mais Jaspar n'est pas homme à se laisser repousser sans autre forme de procès. Il reste décidé à aller de l'avant.

Après l'humiliant Conseil des ministres belges à Bordeaux, d'autres personnalités décidèrent de se rendre en Grande-Bretagne - elles en avaient assez de l'ambiance défaitiste. C'étaient : K. Huysmans, Max Buset, Mme Blum-Grégoire, les dirigeants syndicaux Fr. Daems, Ph. Dewitte, J. Chapelle et O. Becu.

Ils poussent plus au sud, arrivent à Bayonne le 21 juin et y découvrent le cargo Léopold II, qui signifie pour eux le salut. Au tout dernier moment, ils réussissent encore à escalader la coupée, en même temps qu'une quarantaine d'officiers belges, ainsi qu'un groupe de réfugiés ; au total, nonante personnes.

Le navire ne peut attendre les retardataires et part immédiatement. Le 24 juin, les passagers débarquent à Falmouth.

Entretemps, venant de Madrid, De Vleeschauwer est arrivé, le 24 juin, à Lisbonne. Il s'y abouche avec deux agents du gouvernement britannique, assez éloquents pour le persuader de se rendre à Londres. Pour les Anglais il est un homme précieux, car ils savent qu'il est devenu "proconsul" du Congo Belge et le Congo revêt une grande importance pour l'Angleterre (et les États-Unis).

De Vleeschauwer arrive à Londres le 4 juillet. Il y est accueilli avec toutes sortes d'égards et traité en V.I.P. (personnage très important). Toutes les portes lui sont ouvertes. Subitement, il siège parmi les grands de ce monde. Il est reçu, entre autres, par Winston Churchill.

Mais le ministre Jaspar se trouve également à Londres. Il est autorisé par le ministre Duff Cooper à lancer, le 23 juin, sur les ondes de la BBC, un appel aux Belges se trouvant en France et au Congo. Cet appel s'adresse aussi aux marins et incite les Belges à poursuivre la lutte aux côtés des alliés.

Grâce à la conduite courageuse de Jaspar notre honneur fut sauf - lui seul a ramassé notre drapeau, qui traînait dans la boue et l'a fait flotter de nouveau à Londres !

En France, le groupe Pierlot, qui s'est résigné à la défaite et fait des préparatifs pour rentrer en Belgique, est tout à fait mécontent de l'allocution de Jaspar. Le 24 juin, celui-ci est déchargé de ses fonctions ministérielles, sous prétexte qu'il a quitté son poste ; le gouvernement rejette désormais toutes ses déclarations et initiatives. Dans leur mesquinerie, les ministres insinuent que Jaspar (et son épouse) ont fui en Angleterre uniquement pour des "raisons d'ordre personnel". Jaspar est lapidé par les pharisiens...

Peu de temps après, prenant connaissance de ce communiqué, Jaspar en est outré. Il médite sa vengeance et infligera, au moment opportun, une riposte retentissante.

Le 27 juin, Pierlot annonce que l'état de guerre a pris fin officiellement et ajoute : "la tâche du gouvernement ne consiste plus qu'à accélérer le retour des réfugiés en Belgique". Tous les fonctionnaires reçoivent l'ordre de rejoindre leur poste.

Les Anglais sont solidement retranchés derrière le plus large fossé antitank d'Europe : la Manche !

Lors d'un entretien avec Lord Halifax, Sir Hugh Dowding, maréchal de l'Air, résume parfaitement son sentiment en une phrase lapidaire : "Grâce à Dieu, à présent nous sommes seuls".

Ces mots traduisent assez bien l'état d'esprit de la nation britannique : on est débarrassé de ces grincheux alliés. Désormais la Grande-Bretagne est libre de mener la guerre à sa façon.

Que peut offrir la Belgique à la Grande-Bretagne au lendemain des événements de mai et juin 1940 ? La réponse tient en peu de mots : deux douzaines de pilotes de chasse, quatre-vingts navires marchands et en prime, une lourde charge : des milliers de réfugiés... Il n'y a vraiment pas de quoi bomber le torse !

Les aviateurs belges s'engagent courageusement dans la bataille d'Angleterre, Battle of Britain, et récoltent des lauriers.

Les marins sont acquis à la continuation active de la guerre et naviguent sans désemparer tout comme leurs camarades néerlandais et norvégiens.

Les réfugiés se chamaillent à-qui-mieux-mieux. D'aucuns sont mauvais coucheurs, ou même chapardent. Dans l'ensemble ils réussissent, en un temps record, à s'aliéner la population locale.

Il n'y a pas d'armée belge. Il est vrai que quelques centaines de soldats belges sont cantonnés à Tenby, mais ils en sont réduits à donner un coup de main aux paysans des environs, histoire de se faire un peu d'argent de poche.

En réalité nul ne sait, en cet été historique de 1940 où en sont les choses. Certains s'imaginent qu'il existe un "gouvernement belge en exil", mais c'est faux : à Londres il n'y a, en tout et pour tout, que l'ambassadeur de Belgique, le baron Cartier de Marchienne.

De plus en plus, l'absence du roi Léopold III se fait sentir. Certains portent sur cette absence un jugement défavorable.

Outre les 15.000 réfugiés belges, on compte 8.000 Tchèques, un grand nombre de Polonais, toute la population de Gibraltar, 29.000 habitants des îles Anglo-Normandes, d'autres encore, toutes bouches supplémentaires à nourrir en empiétant sur les maigres rations britanniques.

Au milieu de tout cela, la réputation des Belges est gravement compromise. Par contraste avec les Polonais, les Norvégiens, les Néerlandais et même les Français, les Belges ne sont pas considérés comme "alliés", mais seulement comme "étrangers". Les Belges sont rangés dans la catégorie Aliens - Class C. Cela signifie qu'ils sont soumis au couvre-feu : ils ne peuvent sortir en rue entre 22 h 30 et 6 h 30. Il leur est interdit de posséder auto, moto ou bicyclette. Une radio ou la possession de cartes routières britanniques sont également proscrites.

D'après un sondage Gallup organisé par le Daily Herald (parti du Travail), 43 % de la population estimait qu'on ferait mieux d'interner tous les étrangers "Aliens", ("mettre tout ce ramasis derrière les barbelés"). Le Daily Mail hausse encore le ton. Une psychose de Pogrom tendait à se répandre face aux étrangers. D'un total de 60.000 Allemands et Autrichiens (pour la plupart des Juifs) les deux tiers avaient déjà été internés en juillet 1940.

L'ambassadeur Cartier de Marchienne, grand patriote, royaliste, mais ultra-conservateur, ne veut rien savoir d'un gouvernement dirigé par un franc-maçon libéral (Jaspar) et un socialiste (Huysmans), qu'il déteste aussi véhémentement que les Allemands. Il met en garde contre eux le gouvernement britannique et prévient la presse. Celle-ci ne publie pas l'appel radiodiffusé de Jaspar.

De même De Vleeschauwer, qui arrive à Londres sur ces entrefaites, prie le gouvernement britannique de ne pas soutenir Jaspar.

Cette attitude déroute les Anglais. Ils se demandent avec qui négocier ? Ils n'arrivent pas à comprendre que les Belges puissent chicaner à ce point. Ils sont lassés par cette "damned Belgian affair !"

Les Anglais adoptent par conséquent une position expectative, ils ne prennent pas d'engagement vis-à-vis du "comité Jaspar", mais le gardent cependant en sous-main, pour le cas où le "groupe Pierlot" jetterait son gant dans l'arène. En tout état de cause, ils exigent qu'au moins deux ou trois ministres "de premier plan" rejoignent au plus tôt l’Angleterre ; faute de quoi le gouvernement britannique négociera avec le groupe (ou plutôt : le "comité") Jaspar-Huysmans.

Il eût mieux valu pour les Belges en Angleterre - et surtout pour les marins - qu'un gouvernement Jaspar-Huysmans reprît la barre !

De Villeneuve-sur-Lot, le général Denis démobilise les troupes belges stationnées en France et expédie docilement tout le matériel militaire à la Wehrmacht. Le 4 juillet, cinq pilotes qui avaient fui en Angleterre aux commandes de leur avion afin de poursuivre le combat, sont condamnés par un conseil de guerre belge à des peines de prison et à la dégradation, pour cause de désertion et de détournement de matériel militaire... Jaspar n'est pas seul à être désavoué !.

Entretemps, le reste des ministres et parlementaires belges a échoué à Vichy. Le gouvernement de Vichy les toise avec dédain et s'impatiente de leur présence.

Les grandes flottes marchandes de Norvège et des Pays-Bas sont déjà aux côtés des Anglais. Provisoirement, le "Ministry of Shipping" n'a pas à se soucier d'une pénurie de tonnage.

La petite flotte marchande belge représente aussi un apport bienvenu, mais momentanément sans grande importance. En attendant que les Belges eux-mêmes mettent de l'ordre à leurs affaires, leurs navires peuvent sans dommage rester à quai - on ne les laissera tout de même pas s'échapper ! Les Anglais ne sont pas pressés.

Si le gouvernement belge avait mis notre flotte marchande à la disposition des alliés dès le début de la guerre, il aurait, bien entendu, obtenu de meilleures conditions. Mais après deux mois, par suite de l'indécision de notre gouvernement, aucun accord n'a été conclu. Entretemps les prix du fret ont baissé.

Le baron Boël constate que les pourparlers - par suite de l'affaire Jaspar - ont échoué et se rend compte soudainement, qu'il n'est pas en mesure de produire la moindre preuve écrite de la procuration qui lui avait été attribuée à Poitiers ! Le 27 juin, il envoie un télégramme au ministre De Vleeschauwer, pour lui demander confirmation officielle des pleins pouvoirs lui dévolus.

De Vleeschauwer répond le 9 juillet, dans une lettre adressée au baron Cartier de Marchienne, où il confirme que Boël est autorisé à prendre toutes mesures pour préserver les intérêts belges au Royaume-Uni; les flottes marchande et de pêche sont placées sous son autorité directe.

La Commission consultative de la M.M. belge, B.S.A.C., c'est à dire le baron Boël, devient en Angleterre l'interlocuteur belge le plus valable ! Boël exerce la tutelle (custody) sur notre marine marchande.

Les pourparlers reprennent avec le "Ministry of Shipping" lors des réunions des 5, 8 et 9 juillet.

La collaboration des armateurs belges laisse à désirer. À aucun moment ils ne prennent l'initiative d'un projet d'accord d'affrètement.

Il n'existe pourtant pas de problèmes particuliers. Tous les points en litige ont déjà été aplanis, lors des pourparlers antérieurs entre le Ministry of Shipping et les fondés de pouvoir norvégiens ou néerlandais.

Un sujet de litige subsiste concernant les navires de la C.M.B., qui naviguent en temps normal sur la ligne Anvers-Congo. À la demande de la C.M.B., 12 de ses navires sont, à l'issue de laborieuses tractations, exemptés de l'affrètement à temps. Ils sont réservés à la desserte Congo - Royaume-Uni et Congo - États-Unis. Mais au moment où l'accord va être présenté à la signature, la CMB se dédit soudain. La Compagnie estime que les primes d'assurances, contre risques de guerre et risques maritimes, sont trop élevées. Elle donne tout de même la préférence à la cession de ses navires en charte-partie à temps !

Le 20 juillet 1940, un accord est finalement atteint entre le B.S.A.C. (= gouvernement belge) et le Ministry of Shipping sur les modalités d'affrètement à temps des navires belges.

Tous les cargos sont loués au Ministry of Shipping sur base d'affrètement à temps. Cela signifie que l'armateur met ses navires, entièrement armés et pourvus d'un équipage complet, à la disposition de l'affréteur (c'est à dire, du Ministry of Shipping).

L'indemnité due pour usage du navire est calculée au mois et à la tonne de port en lourd. Les frais de combustible et les frais encourus au port (frais de chargement et de déchargement, commissions sur la cargaison, etc.) sont à charge de l'affréteur. Le Ministry of Shipping détermine quelle cargaison les navires vont transporter et quels voyages ils vont entreprendre. D'autre part ce ministère couvrira les frais d'assurances pour les risques de guerre et dommages encourus.

Les navires alliés sont répartis en 5 catégories :
- caboteurs
- cargos - à la cueillette - (tramps)
- cargos sur lignes régulières (par exemple le Congo Belge) - pétroliers
- paquebots (transformés en transports de troupes).

Pour les cargos belges, le même tarif d'affrètement que pour les navires britanniques sera appliqué : tous les navires alliés sont traités sur le même pied.

Nos malles Ostende-Douvres sont cédées en affrètement sur coque nue. Dans ces conditions, le navire est affrété sans équipage.

Quelques-uns de nos navires échappent à l'accord d'affrètement (entre autres l'Astrida et les navires des United States Lines = Somaran).

Les frets sont déterminés par le gouvernement britannique, plus précisément par le Ministry of Shipping.

Le 22 juillet des parlementaires belges mettent sur pied l'Office Parlementaire Belge, à Londres. Cet organisme se charge de l'assistance et de l'accès à l'emploi des réfugiés - mais ce n'est qu'une façade : le but réel est de former un nouveau gouvernement. Les bureaux sont situés au n° 6, Arlington street.)

De Vleeschauwer est préoccupé par l'activité déployée par le "comité Jaspar" et par l'Office Parlementaire Belge, qui tous deux reçoivent un appui croissant dans les milieux du Labour (parti du Travail). Il se rend compte que le gouvernement britannique perd patience et retourne en hâte en Espagne. Il réussit à persuader Pierlot, Spaak et Gutt de le rencontrer à la frontière franco-espagnole, au Perthus.

Le 2 août le trio fait son apparition au poste de douane. La discussion se prolonge pendant plus de deux heures. En fin de compte, on parvient à s'entendre : le ministre Gutt partira sur-le-champ en Angleterre, Pierlot et Spaak suivront "peu après". Le même jour, 2 août, le général de Gaulle est condamné à mort par contumace par le conseil de guerre de Clermont-Ferrand.

Pierlot et Spaak retournent tous deux à Vichy, où ils font rapport aux autres ministres. Ceux-ci refusent de s'expatrier en Grande-Bretagne.

Le 5 août, la première Maison Belge du Marin est inaugurée à Liverpool. Elle est située au 5, Great George Square.
Le 8 août De Vleeschauwer revient à Londres en compagnie de Gutt. Pour les Anglais, Gutt est également un hôte bienvenu, car il est l'homme qui dispose d'une grande partie du stock d'or entreposé à la Banque d'Angleterre (85 milions £.)

Le 15 août 1940 marque pour les marins une date historique. C'est en ce jour que, pour la première fois, une convention collective du travail fut conclue entre les armateurs, les syndicats et l'Administration de la Marine.

Désormais il sera possible de régler plus aisément les litiges.

Le 19 juin, Georges Dufour, ingénieur principal de la C.M.B., avait été envoyé par le bureau de cet armement à Bordeaux, pour y défendre les intérêts de la Compagnie.

Les membres de la direction : Cattier, Vereecke, Van De Vliet, Lejeune et Neefs, sont également désignés pour se rendre immédiatement en Angleterre. Pierre Cattier et Paul Vereecke ne purent s'en aller, de Lisbonne à New-York, que le 9 octobre. Dufour s'embarque à Bayonne le 24 juin et arrive à Lisbonne le 28. Le 19 août il atteint finalement l'Angleterre (Liverpool). Il apprend que 17 navires de la C.M.B., ainsi que des navires d'autres armements, demeurent bloqués dans les ports britanniques.

Dufour se voit soumettre une longue liste de doléances : les capitaines tirent le diable par la queue, les gages des équipages ne sont plus honorés ; pour protester, les hommes ont cessé le travail. Les fournisseurs hésitent à livrer les provisions. Les réparateurs traînent avant d'entamer le travail requis, parce qu'ils n'ont aucune garantie d'être payés. En un mot : la situation est préoccupante.

Georges Dufour convoque une réunion de 6 capitaines de la CMB qui languissaient à quai dans le port de Liverpool.
Il s'échine à faire libérer des crédits et à faire appareiller les navires aussi tôt que possible. Les équipages reçoivent des avances. Le 4 septembre, l'Emile Francqui, le premier, part en mer, bientôt suivi par les autres navires.

En France, le gouvernement de Vichy a cordialement pris en grippe le dérisoire gouvernement belge. Afin d'être délivrés de ces encombrants personnages, les Français s'avisent d'un moyen efficace : les banques reçoivent l'ordre de ne plus faire crédit au gouvernement belge !

Le "groupe Pierlot" ne reçoit plus de fonds. Dès lors que le retour en Belgique est interdit à ces messieurs, ils sont à présent bien obligés - nolens volens - de s'expatrier en Angleterre.

Vers la mi-août, l'Administration de la Marine est, à son tour, réorganisée, en miniature, ("Sous-commission de la Marine"). La direction en est confiée à René Lesure, naguère chef du service du personnel à l'Administration de la Marine. L'ossature de ce service est composée de quelques chefs de service de la Marine, qui ont pu s'échapper en Angleterre et de membres de l'ancienne délégation belge auprès du Comité Franco-Britannique de coordination, supprimé après la capitulation de la France.

Enfin, le 16 août, Pierlot et Spaak demandent à l'ambassadeur d'Espagne à Vichy un passeport pour l'Espagne.

Le 27 août ils décident (finalement) de se mettre en route. Leur imposant entourage a complètement fondu. La petite troupe ne se compose plus que du premier ministre Pierlot, de son épouse et de leurs sept enfants, du chef de cabinet, du ministre Spaak et des deux chauffeurs, répartis entre deux autos.

Le 19 octobre, Pierlot et Spaak réussissent à s'évader : une camionnette, dotée d'un compartiment secret, les emmène par des chemins cahoteux vers le Portugal. Le 23 octobre, ils arrivent à Londres, à la dérobée. Le dernier des gouvernements à rejoindre l'Angleterre et les alliés, faisait porter, par la Belgique, la lanterne rouge...

Plus tard, Pierlot se référa à cette période comme à une "brève dépression" (laquelle se prolongea pendant six semaines...)

Le 27, M. H. Jaspar, qui était au courant des mésaventures du duo Pierlot - Spaak, estime le moment venu : il publie dans le journal londonien Evening Standard, l'affligeant compte-rendu du conseil des ministres du 18 juin 1940, au cours duquel Pierlot et les autres ministres belges avaient refusé d'aller en Angleterre.

Avec cet article, Jaspar signe son "arrêt de mort". Il ne reviendra plus jamais au gouvernement. Il se voit attribuer les fonctions d'ambassadeur auprès du ... gouvernement tchécoslovaque en exil. Jaspar est, politiquement parlant, étranglé en douceur...

Pierlot refuse obstinément d'inclure des parlementaires de premier plan (tels que Huysmans et Buset), dans son gouvernement. Même en ces jours sombres, il n'était pas question de coopération ou d'unité nationale ; des ministres, des parlementaires persistent à faire de l'obstruction.

Le 31 octobre 1940 le gouvernement belge restreint est constitué. Il se compose de quatre personnes :
- Hubert Pierlot : premier ministre et ministre de l'Instruction Publique. Juriste impénitent, aux allures de notaire campagnard ; pas combatif; assurément pas une figure de proue.
- Camille Gutt : ministre des Finances, de la Défense Nationale, des Affaires Économiques et des Transports.
Personnage plutôt intolérant, auquel son visage anguleux et ses oreilles décollées donnent l'aspect d'un entrepreneur de pompes funèbres. Mais brillant financier cosmopolite.
- Paul-Henri Spaak : ministre des Affaires Etrangères et du Commerce. Corpulent, volubile, gourmet, peu scrupuleux. Socialiste bourgeois. Excellent orateur.
- Albert De Vleeschauwer : ministre des Colonies et de la Justice. Seul Flamand et benjamin de ce quatuor. Patriote, anglophile, vaniteux, mais fin renard.

Ces figures sans relief et sans attrait, parmi lesquelles deux, au moins, avaient commencé par refuser de poursuivre la lutte, deviennent nos chefs. Ces chefs ne jouissent d'aucun prestige, sont méprisés de tous ; nul ne s'y fie. En conclusion, nous pouvons affirmer que l'ambassadeur Cartier de Marchienne et le baron Boël ont, sans aucun doute, été les deux personnages-clefs, ayant donné une consistance à toutes les décisions gouvernementales prises entre le 10 mai et la mi-septembre 1940.

En Belgique occupée, la population est désorientée et profondément troublée par la défaite. Les gens s'emparent d'un nouvel idéal : le roi ! L'estime portée à Léopold III devient une sorte de vénération idolâtrique, un culte de la personnalité. Le roi devient le guru de la patrie...

 

 

 

 

  LMB-BML 2007 Webmaster & designer: Cmdt. André Jehaes - email andre.jehaes@lmb-bml.be